Comment penser complexe ? Comment agir en complexité. Vaste programme.
J’ai été très marquée par ce texte que j’ai vu en direct à la télé (ça fait vieux de dire ça nan ? Héhé) il y a quelques mois. Il faisait énormément écho à mon spectacle et à mon passé africain.
Depuis j’ai fait de ce texte la matière brute de ma toute première Lettre.
Au fond, et contrairement à ce que nous pensons, notre entreprise la plus aboutie n’est pas d’embrasser la clarté de la Lumière, donc de l’opposer avec obstination à la prétendue opacité de l’Ombre. C’est cette inclination qui a souvent gouverné nos préjugés dans lesquels nos raisonnements sont fondés sur l’opposition, sur les contraires : le noir et le blanc, le petit et le grand, le gros et le mince, les pays développés et sous développés, la civilisation et la barbarie, ou comme aujourd’hui, l’Ombre et la Lumière. Cette tentation, ancrée dans notre inconscience, nous empêche de disséquer l’Ombre, de découvrir ce grain de sable aux origines lointaines, cette fourmi emportée par le courant, cet oisillon blessé en échouant de son nid, cette brindille rescapée du bec d’un hibou et surtout d’entendre cette piécette qui tombe et dont l’écho métronomique devient une musique des anges.
En réalité, notre entreprise la plus aboutie est de ramener à la surface de l’Ombre, ce chainon qui manque à notre humanisme. Notre entreprise consiste à nous inspirer du mystère de l’Ombre, à percer son incertitude pour remettre en cause la vérité absolue distillée en apparence par la Lumière. La Lumière, elle n’est rien sans l’Ombre. L’Ombre, elle ne trouve de raison d’exister que grâce à la Lumière. C’est comme dirait le fabuliste Florian, l’amitié du paralytique et de l’aveugle, les deux doivent s’unir pour progresser. Entre l’Ombre et la Lumière s’ouvre cette voie, cette passerelle, ce pont qui nous mène vers la réconciliation et la solidarité.
Notre passé est là, avec sa part d’Ombre. Notre présent essaie de séparer sans succès le grain de l’ivraie. Notre futur fera la bilan de cette longue traversée que certains ont trop vite qualité de civilisation et qu’il nous faudra coûte que coûte redéfinir ensemble, pour qu’il n’y ait plus d’un côté, les peuples de la Lumière et de l’autre, les peuples des Ténèbres.
Alain Mabanckou
Extrait de La Grande Librairie. A retrouver en vidéo ici.